LA VÉRITÉ SUR LE TRAVAIL DES MÉDECINS DE FAMILLE

Lettre du Dr Godin en réplique à celle de M. Daniel Poirier (Pas des paresseux parue le 5 janvier 2015) 
soumise à la Presse, section Débats, le 6 janvier à 13 h. La lettre n’a pas été publiée.

Le ministre Gaétan Barrette est en voie de déshumaniser la pratique de la médecine familiale en la transformant en un simple travail à la chaîne. Avec son projet de loi 20, il veut pénaliser les médecins de famille qui s’occupent des patients plus malades, ainsi que ceux qui prennent davantage de temps avec chacun de leurs patients. Il veut aussi imposer à chaque médecin des quotas individuels irréalistes de patients à prendre en charge, tout en prolongeant l’obligation qu’ont les médecins de famille québécois de travailler en milieu hospitalier, un fait unique au Canada. Cela n’a tout simplement aucun sens ! Le ministre Barrette sait-il que ce sont des êtres humains que nous soignons, pas des numéros ?  Sait-il qu’en plus de travailler en clinique médicale, les médecins de famille du Québec représentent 95 % des effectifs médicaux des urgences de la province, qu’ils pratiquent environ 40 000 accouchements par année, que leur présence aux soins intensifs, en soins palliatifs et en CHSLD est essentielle ? Malheureusement, la réponse à cette question semble être non.


En plus, le ministre de la Santé insulte et dénigre les médecins de famille, en insinuant à coup de statistiques manipulées qu’ils sont paresseux. Le ministre est en effet incapable de citer correctement et simplement les statistiques de la RAMQ selon lesquelles les médecins omnipraticiens, tout comme leurs collègues spécialistes, travaillent en moyenne environ 200 jours par année, et ce, bien souvent à une fréquence de 12 à 16 heures par jour. Il ne dit pas non plus que ces données excluent bon nombre de journées de travail non rémunérées, telles que celles que les médecins de famille consacrent à des activités médicoadministratives ou à l’analyse des résultats d’épreuves de laboratoire, ni que les journées de seize heures comptent pour une seule dans les données de la RAMQ et qu’une demi-journée travaillée ici et là n’est jamais comptabilisée.


La vérité est pourtant toute simple, et le Sondage national des médecins de 2013 est limpide à ce sujet : les médecins de famille québécois travaillent près de 50 heures en moyenne par semaine, 45 semaines par année. Et ces chiffres n’incluent pas les gardes en disponibilité en établissement ! Il faut manifestement vouloir berner les Québécois pour parler de temps partiel dans un tel contexte.  C’est pourtant ce qu’a fait Daniel Poirier, un ex-fonctionnaire du ministère de la Santé et des Services sociaux, dans l’édition de La Presse+ du 5 janvier. Sans citer aucune source crédible ni aucune étude digne de ce nom, M. Poirier avance qu’un médecin de famille sur deux choisit de travailler à temps partiel au Québec ! Rien n’est plus faux et absolument rien ne soutient une affirmation aussi ridicule, sauf évidemment l’imagination fertile et les chiffres manipulés à l’extrême du ministre Barrette. 


Les médecins de famille travaillent fort au Québec. Ils travaillent autant que leurs collègues spécialistes et autant que leurs collègues du reste du Canada, toutes les données probantes le montrent de manière éloquente. Les difficultés d’accès aux soins de première ligne au Québec s’expliquent simplement : les médecins de famille exercent davantage en milieu hospitalier au Québec que partout ailleurs et manquent de soutien professionnel en clinique. Les médecins de famille sont prêts à travailler avec le gouvernement du Québec pour améliorer l’accès à leurs soins dès maintenant. Mais le gouvernement actuel est-il prêt à en faire autant ? Nous sommes légitimement en droit de nous poser la question, car la collaboration et la bonne foi semblent des concepts étrangers à l’équipe gouvernementale depuis quelques mois. 

Louis Godin, M.D.
Président
Fédération des médecins omnipraticiens du Québec