Intentions gouvernementales

Chères consœurs, chers confrères,

 

L’heure est grave.

Vous avez sans doute pris connaissance ce matin des intentions du gouvernement de déposer un projet de loi visant à imposer des indicateurs de performance aux médecins, incluant un lien direct entre la rémunération des médecins de famille et leur performance collective.

Samedi dernier, vos 150 délégués ont unanimement rejeté le dernier dépôt du gouvernement, et donc le projet du ministre de la Santé en ce qui concerne la désinscription des patients les plus en santé de leur médecin de famille pour les réattribuer à d’autres patients. Ces mesures, déconnectées de la réalité clinique et des liens de confiance établis entre chaque patient et son médecin, auraient des effets délétères sur cette relation et sur les patients eux-mêmes.

Depuis le début, notre Fédération n’a jamais souhaité d’affrontement. Elle a plutôt tendu la main en proposant un arbitrage, un mécanisme reconnu pour résoudre les différends de façon constructive — une pratique courante dans d’autres provinces. Cette main tendue est toujours là.

À cette heure, nous n’avons pas encore vu le contenu du projet de loi. Mais son annonce laisse présager une volonté de contourner tout processus équitable de conciliation. Faudrait-il en conclure que le gouvernement préfère imposer un rapport de force plutôt que de risquer une décision arbitrale qui pourrait lui être défavorable ?

Le premier ministre affirme ce matin que le tiers des médecins de famille ne « travaillerait pas assez ». Pourtant, malgré plusieurs demandes officielles — adressées au MSSS, au SCT, à la CAI, au MCE, et à deux reprises au premier ministre lui-même —, nous n’avons jamais obtenu les données sur lesquelles reposent ces affirmations graves. Aucun éclaircissement, aucun fondement objectif.

Nous assistons à un retour en arrière, qui n’est pas sans rappeler les effets toxiques du projet de loi 20. Et pendant ce temps, paradoxalement, le même ministère siège encore à la Table nationale de valorisation de la médecine familiale. Difficile de croire à une volonté réelle et franche de valoriser notre discipline !

Le Québec fait face à une pénurie criante de médecins de famille — plus de 2000, selon les chiffres de certains documents du MSSS lui-même. Alors comment peut-on espérer recruter, retenir et inspirer la relève en imposant de telles conditions et en brandissant la menace comme seul levier ?

Comment le gouvernement de la CAQ compte-t-il intéresser les étudiants en médecine à la médecine de famille en s’y prenant de la sorte ? Comment compte-t-il préserver les médecins de famille qui sont toujours au front, sur le terrain, auprès des patients, jour après jour ? Comment compte-t-il les empêcher d’aller travailler ailleurs qu’au Québec, de prendre leur retraite prématurément ou de carrément réorienter leur carrière ? Comment compte-t-il maintenir la flamme quotidienne de ces médecins de famille ? Car ce qu’il propose en ce moment, c’est d’étouffer cette flamme.

Ce que propose le gouvernement ne constitue pas un encouragement à la performance. C’est plutôt une forme à peine déguisée de coercition, qui mine le statut de travailleur autonome, nie le droit à la négociation, fragilise la profession, et démotive ces médecins de famille qui, chaque jour, portent le réseau à bout de bras avec leurs collègues du réseau.

Les médecins de famille n’ont jamais fui l’évaluation ni la rigueur. Mais nous ne pouvons absolument pas accepter que leur performance soit jugée isolément, sans égard aux conditions réelles d’exercice ni aux responsabilités systémiques de l’État.

Car il faut le rappeler : améliorer l’accès aux soins en première ligne ne se fera pas en pointant du doigt celles et ceux qui y œuvrent déjà avec engagement, mais en agissant avec intelligence, respect et vision.

Nous ne laisserons personne éteindre ce feu qui vous habite encore.

Pas le cynisme. Pas les raccourcis. Pas les injonctions mal ficelées.

Ce que vous portez chaque jour mérite mieux. Nous continuerons, ensemble, à faire entendre votre voix — avec la rigueur, la force et la lucidité que commande cette situation.

Nous prendrons dès demain connaissance dudit projet de loi, l’analyserons et vous tiendrons au courant sur son contenu et sur les intentions de votre Fédération.

Tenez bon.

Nous sommes avec vous. Je suis avec vous.

Nous ne lâcherons rien. Pour vous et pour vos patients.

Tenez-vous prêts. Nous aurons besoin de vous. Et vous le saurez le moment venu…

Solidairement,

Dr Marc-André Amyot
Président-directeur général