Il manque incontestablement de médecins de famille au Québec

L’ex-fonctionnaire et bureaucrate au ministère de la Santé, Daniel Poirier, nie une évidence, soit qu’il manque cruellement de médecins de famille au Québec, en omettant pour débuter de mentionner que la conclusion à l’effet qu’il manque 1000 médecins de famille est tirée de données provenant du gouvernement et ce selon une analyse rigoureuse des écarts entre les effectifs en place et les besoins. Le déni de M. Poirier n’est toutefois guère surprenant. De tout temps, il a ignoré les réels besoins en médecine familiale et, ce faisant, il a contribué à la pénurie actuelle lors de son malheureux passage à la direction de la main-d’œuvre médicale du ministère de la Santé. Des précisions s’imposent donc.

D’abord M Poirier fait référence au nombre absolu de médecins de famille en exercice au Québec tout en omettant de mentionner des faits qui parlent d’eux-mêmes. Au 31 mars 2021, il y avait 9 772 médecins de famille comparativement à 10 899 médecins spécialistes, soit 1 100 médecins de famille de moins que de médecins spécialistes.  Ce qui représente une proportion de 47 % médecins de famille vs 53 % de spécialistes. Ailleurs au Canada, ce ratio est inversé, les médecins de famille représentant 51 % de la profession. Un petit rappel ici :  en l’espace d’une douzaine d’années, soit entre 2000 et 2013, en raison de la gestion déficiente des effectifs et des projections erronées de l’équipe dirigée par M. Poirier au ministère de la Santé, on est passé au Québec d’un nombre équivalent de médecins généralistes et spécialistes à un avantage numérique de 1000 médecins spécialistes ! 

De plus, il faut rappeler que les médecins de famille québécois travaillent davantage en établissement que leurs collègues du reste du Canada (35 à 40 % de leurs tâches sont à l’urgence, à l’hospitalisation, en CHSLD, en obstétrique, en soins palliatifs, etc.). Cela a pour effet de ramener le nombre de médecins disponibles en première ligne (GMF et clinique médicale) par 100 000 habitants à 78 médecins de famille au Québec alors qu’en Ontario ce ratio est de 88 médecins de famille par 100 000 habitants et dans le reste du Canada, de 95 médecins par 100 000 habitants. Ces données, jumelées à une pandémie qui a nécessité des efforts inédits des omnipraticiens, à l’augmentation et au vieillissement de la population, ainsi qu’aux problématiques liées à la santé mentale qui ont fait exploser la demande de soins font en sorte qu’il faut être d’une mauvaise foi chronique pour nier la pénurie actuelle de médecins de famille au Québec.  

Hélas, cette pénurie perdurera un certain temps, car la relève nécessaire et attendue n’est pas au rendez-vous depuis trop longtemps alors que 467 postes de formation en médecine familiale sont demeurés vacants au Québec depuis 10 ans. On parle ici de 467 médecins potentiels qui auraient pu soigner et prendre en charge des centaines de milliers de patients pendant plus de 30 ans ! À titre d’exemple probant, seulement en 2021, plus de 70 postes de résidents en médecine de famille sont demeurés vacants dans les quatre facultés de médecine du Québec alors que pendant ce temps, dans l’ensemble des autres spécialités médicales, un seul poste est demeuré vacant ! Malgré tout, M. Poirier tente inexplicablement de banaliser le tout et de désinformer les lecteurs en parlant « de quelques postes non comblés ».  

Enfin, M. Poirier y va d’une dernière lubie à savoir qu’un nombre significatif de médecins travailleraient à temps partiel, ce qui est démenti par toutes les analyses sérieuses effectuées de bonne foi. Cela dit, quand on sait que 70 % des médecins de famille au Québec ayant moins de 60 ans sont aujourd’hui des femmes (une avancée sociale remarquable dont on peut être fier), est-ce raisonnable de penser qu’une large proportion d’entre elles auront des enfants un jour et bénéficieront de congés de maternité par exemple? Oui ! Quand on sait que plus du quart des médecins de famille au Québec ont plus de 60 ans, est-ce raisonnable de penser qu’éventuellement certains souhaitent ralentir le rythme un peu ? Oui ! Est-ce immoral que certains des 1500 médecins de famille âgés de plus de 65 ans qui pratiquent toujours actuellement travaillent à temps partiel ? Non, cela est même souhaitable !  On parle ici d’évidences dont tous conviendront sauf les gens de mauvaise foi.

Marc-André Amyot, M.D.

Président, Fédération des médecins omnipraticiens du Québec